Journal of the International Law Department of the University of Miskolc


Miskolc Journal of International Law

Miskolci Nemzetközi Jogi Közlemények

 

Vol. 7. (2010) No. 1. pp. 1-13.

 

Paul Tavernier[1]:

 

Le Conseil Constitutionnel français et la

Convention européenne des droits de l ‘homme[2]

  

Les rapports entre les cours constitutionnelles et la Cour européenne des droits de l’Homme sont rarement simples, même si dans l’ensemble ils sont relativement harmonieux. Mais ils peuvent aussi être parfois tendus, voire conflictuels. 

Un arrêt récent rendu en Grande chambre par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Korbely c. Hongrie en apporte une nouvelle illustration[3]. Dans cette affaire, qui concernait des faits remontant au soulèvement révolutionnaire de 1956, la Cour a contredit les positions de la Cour constitutionnelle hongroise qui était intervenue à deux reprises (au titre du contrôle a priori de la loi et par la voie de la question préjudicielle). Elle a considéré que la Hongrie avait violé l’article 7 de la Convention et le principe de non-rétroactivité en matière pénale. L’arrêt rendu sur ce point par 11 voix contre 6 a donné lieu à une opinion dissidente fortement motivée qui reproche à la majorité d’avoir substitué « tout simplement ses propres constatations de fait à celles des autorités judiciaires hongroises »[4]. Il est vrai que les analyses des juridictions hongroises sont remarquables, tant par leur précision que par leur clarté, en ce qui concerne des problèmes délicats de droit humanitaire. 

Pour ce qui est de la France, la question des relations entre le Conseil constitutionnel et la Cour de Strasbourg est à la fois complexe et compliquée du fait que les juristes français ont tendance à invoquer la spécificité, voir « l’exception » française[5]. Cette prétendue « exception française » m’a toujours paru étrange et inacceptable. A quel titre notre pays en bénéficierait-il alors que cet « avantage » serait refusé à ses partenaires, hongrois, allemands ou italiens… sans parler des bavarois, des bretons ou des corses…

Il est vrai que du côté de Strasbourg les choses ne sont pas toujours très claires et apparaissent même souvent ambiguës. La Cour européenne se pose souvent en Cour constitutionnelle de la Grande Europe, à l’égal et à l’instar des cours constitutionnelles nationales, ou même au-dessus de celles-ci. Toutefois, contrairement aux cours constitutionnelles nationales, la Cour de Strasbourg ne se prononce pas sur la répartition des pouvoirs. A cet égard, la Cour de Justice des Communautés européennes se rapproche davantage d’une cour constitutionnelle dans certains aspects de ses activités, car elle tranche des questions de répartition des compétences entre le Conseil et la Commission, notamment à travers le contentieux de « la base juridique ». La Cour de Strasbourg, quant à elle, se prononce parfois, mais de façon incidente, sur la répartition des compétences entre les Etats et les « organes de Strasbourg », notamment lorsqu’elle s’appuie sur la marge d’appréciation des Etats ou sur le principe de subsidiarité : dans ces cas-là, elle se comporte un peu comme une cour fédérale, telle la Cour suprême des Etats-Unis. 

Toutefois, une difficulté surgit lorsqu’on veut assimiler la Cour européenne à une cour constitutionnelle. Toute juridiction constitutionnelle fonde sa compétence sur une constitution qu’elle est chargée d’interpréter et d’appliquer. Dans le cas de la Cour de Strasbourg, quelle est la Constitution que celle-ci applique ? Tout au plus peut-on considérer que la Convention européenne, base de sa compétence, représente un « embryon » de constitution, ou plus modestement le préambule et la déclaration des droits du Statut du Conseil de l’Europe, qui fait office de Constitution ou de Charte constitutive pour cette organisation. Sur ce point, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne occupe une position plus claire dans le système du droit communautaire. Dans le Traité portant constitution de l’Union européenne, la Charte des droits fondamentaux était en quelque sorte appelée à constituer le fronton de la construction européenne reposant sur les fameux trois piliers. Il est vrai que le Traité portant constitution n’a pas été ratifié, du fait du refus des Pays-Bas et de la France.[6] Toutefois, l’analyse en termes constitutionnels se justifie toujours pour la construction communautaire, qui se rapproche du modèle fédéral, alors que le Conseil de l’Europe reste essentiellement fidèle au modèle confédéral. 

C’est dire les enjeux que soulèvent les discussions sur les relations entre le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’Homme. Sur ce point les opinions divergent beaucoup et, sans vouloir être exhaustif, certaines présentent une vision optimiste (v.notamment Robert Badinter), alors que d’autres sont plutôt pessimistes et critiques (ce qui est notre cas). Toutefois, la situation pourrait évoluer dans l’avenir et il conviendra d’examiner le sort de la réforme constitutionnelle de juillet 2008 qui a introduit un système de recours préjudiciel devant le Conseil constitutionnel. 

 

I. – La vision optimiste : cohérence et convergence des jurisprudences 

On trouve un parfait exposé de la thèse optimiste des relations entre le Conseil constitutionnel français et la Cour de Strasbourg, dans une contribution écrite par Robert Badinter dans les Mélanges Ryssdal parus en 2000[7]. Cette thèse est également défendue par d’éminents juristes[8]

L’ancien président du Conseil constitutionnel part du constat présenté par la délégation française à la Conférence des cours constitutionnelles à Ankara en 1998 qui « soulignait que la Convention européenne des droits de l’Homme irriguait la jurisprudence relative aux droits fondamentaux et notamment celle du Conseil constitutionnel français »[9]. Le président Badinter concède qu’il y a là un certain paradoxe puisque le Conseil constitutionnel ne considère pas que les traités internationaux, et en particulier la Convention européenne, font partie du « bloc de constitutionnalité »[10]. Dans cette affaire, le Conseil a estimé, selon une formule curieuse, qu’une loi contraire à un traité n’est pas pour autant contraire à la Constitution, alors même que l’article 55 de la Constitution consacre la supériorité des traités. 

Le Conseil n’a pas modifié sa jurisprudence à l’occasion de la ratification du Traité de Maastricht dont l’article F § 2 stipule que l’Union respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres. 

Pour Robert Badinter, « tant du point de vue des techniques d’interprétation que des droits fondamentaux garantis, l’influence indirecte, voire même [sic] directe dans certains cas, de la jurisprudence de la Cour, est présente »[11]. L’influence est directe lorsque le Conseil constitutionnel est juge des élections des députés et des sénateurs : il statue comme un juge ordinaire et n’hésite pas à confronter la loi nationale aux dispositions de la Convention[12]. En revanche, l’influence est seulement indirecte lorsque le Conseil statue comme juge de la constitutionnalité des lois. Dans ce cas, « le Conseil constitutionnel utilise la norme conventionnelle relative aux droits de l’Homme comme source d’inspiration »[13]

Certes Robert Badinter reconnaît qu’il s’agit « d’un choix de politique jurisprudentielle », mais cette parenté des techniques d’interprétation et de contrôle des juges européens et français traduit en réalité le « même attachement à des valeurs communes. Il y a donc convergence des jurisprudences plutôt qu’influence de la Cour de Strasbourg[14]. A la jurisprudence relative aux qualités de la loi requises par la Cour européenne (précision et accessibilité)[15], répond celle du Conseil constitutionnel en matière de détermination des infractions par le législateur[16]. On peut aussi relever des convergences à propos du degré d’intensité variable du contrôle exercé, limité à l’erreur manifeste (Conseil constitutionnel pour les nationalisations) ou laissant à l’Etat une large marge d’appréciation. 

Mais l’ancien président du Conseil constitutionnel insiste sur l’attachement à des valeurs communes qui conduit à des convergences des deux jurisprudences, par exemple pour l’interprétation des principes d’égalité et de non-discrimination (article 14 CEDH), mais aussi en ce qui concerne l’accent mis sur le pluralisme et la tolérance en matière de liberté d’expression, et l’interprétation large de la matière pénale (Cour européenne) et l’extension des exigences de la procédure pénale à des sanctions administratives ou fiscales. Une grande convergence se manifeste aussi, de manière générale, pour les exigences du procès équitable. 

La conclusion de Robert Badinter est résolument optimiste : « Au total, entre la jurisprudence du Conseil constitutionnel français et le droit de la Convention européenne conçu comme « standard minimum », il n’y a pas de contradiction mais au contraire inspiration commune »[17]. Il ajoute cependant un regret, que le citoyen ne bénéficie pas en France d’une procédure d’exception d’inconstitutionnalité. Cela lui paraît curieux : « Par un paradoxe difficilement compréhensible les justiciables français sont traités en « mineurs » constitutionnels alors que par ailleurs ils sont des « majeurs » conventionnels. Il est vrai que la caractéristique essentielle du système de contrôle à Strasbourg est désormais le recours individuel et l’accès direct à la juridiction européenne. Mais en dehors de cela, la vision optimiste des relations entre les deux hautes juridictions n’est pas partagée par tout le monde.

 

 

II. – La vision pessimiste : les contradictions de la position du Conseil constitutionnel français

 

Dans les Mélanges Conac, nous avons en effet montré comment la position du Conseil constitutionnel français à l’égard de la Convention et de la Cour européenne, appuyée sur des principes rigides, et sans doute dépassés, aboutissait à une situation quelque peu paradoxale et tout à fait contradictoire[18]. En effet, alors que le Conseil échappe au contrôle de la Cour dans son activité accessoire de juge des élections, c’est-à-dire à titre de juge ordinaire, il est au contraire soumis à un tel contrôle lorsqu’il intervient comme juge constitutionnel, c’est-à-dire dans l’exercice de sa fonction principale. 

Il est vrai que l’article 62 de la Constitution française de 1958 proclame fermement que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Cela confère à ces décisions une immunité totale … en France. Mais évidemment ces prescriptions ne s’imposent pas aux autorités internationales, et notamment à la Cour européenne des droits de l’Homme ou à la Cour de Justice des Communautés européennes. Dans ces conditions, on peut s’interroger et poser la question que nous soulevions en 2001 : « Dans ce champ clos où s’opposent les deux juridictions européennes et dans lequel elles croisent aussi le fer avec les plus hautes juridictions nationales, le Conseil constitutionnel français peut-il rester à l’écart – en touche pourrait-on dire – et échapper au contrôle de la Cour de Strasbourg ? ». Pour nous, la réponse est claire : la négative s’impose. La Cour européenne a développé progressivement son contrôle sur toutes les plus hautes juridictions nationales, y compris les juridictions constitutionnelles. En ce qui concerne la France, la Cour a soumis à son examen les décisions de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat, mais aussi de la Cour des comptes et de la Cour de discipline budgétaire, et peut-être un jour en sera-t-il de même pour le Tribunal des conflits. Aucun obstacle ne s’oppose à ce qu’elle adopte la même attitude pour les décisions du Conseil constitutionnel.

Or la Cour de Strasbourg, de manière surprenante, a été sensible aux arguments du gouvernement français, qui s’est fait l’écho des craintes du Conseil constitutionnel, en ce qui concerne le contentieux électoral. En revanche, elle a su affronter, indirectement il est vrai, le Conseil dans le domaine du contentieux proprement constitutionnel.

 

A. – La Cour de Strasbourg ne contrôle pas le Conseil constitutionnel, juge des élections

 

Le contentieux des élections parlementaires (Assemblée nationale et Sénat) relève depuis 1958 de la compétence du Conseil constitutionnel (article 59 de la Constitution). Ce contentieux spécifique est organisé de façon particulière. On pouvait penser que, dans ce cas, le Conseil constitutionnel, statuant en tant que juge ordinaire, devait respecter les exigences de la Convention européenne, en particulier les règles prévues à l’article 6, et plus spécialement les règles de la publicité des débats. Or la Cour de Strasbourg en a décidé autrement dans l’affaire Jean-Pierre Pierre-Bloch qui concernait le contrôle des dépenses électorales[19]

La Cour a déclaré que l’article 6 était inapplicable par 7 voix contre 2[20]. Elle admet que « selon sa jurisprudence le fait qu’une procédure s’est déroulée devant une juridiction constitutionnelle ne suffit pas à la soustraire au champ d’application de l’article 6 § 1 » (§ 48 de l’arrêt). La Cour rejette donc implicitement l’argument de la soi-disant « exception française », mais elle accueille finalement l’argumentation du gouvernement en s’appuyant sur la distinction des droits civils et politiques. Elle considère que le droit de se porter candidat à une élection à l’Assemblée nationale et de conserver son mandat « est de caractère politique et non « civil » au sens de l’article 6 §1, de sorte que les litiges relatifs à l’organisation de son exercice – tels ceux portant sur l’obligation des candidats de limiter leurs dépenses électorales – sortent du champ d’application de cette disposition » (§ 50 de l’arrêt). Un tel raisonnement, qui reprend celui de la Commission, ne nous convainc pas. En revanche, nous nous rallions volontiers à la position du juge De Meyer, dans son opinion dissidente. Pour lui « la distinction des droits civils et des droits politiques est déjà, en elle-même, assez étrange du point de vue de l’étymologie de ces deux adjectifs, en ce que les mots latins, dont dérivent le premier (civile, civis, civitas), et les mots grecs, dont dérivent le second (politikon, politis, politeia), signifient la même chose) ». Il précise qu’ « en réalité, les droits « politiques » constituent une catégorie particulière de droits « civils ». Ils sont même plus « civils » que d’autres, en ce qu’ils sont plus directement inhérents à la qualité de citoyen et d’ailleurs normalement réservés aux seuls citoyens ». La Cour écarte aussi l’applicabilité de l’article 6 sous son volet pénal, malgré l’obligation découlant de la décision du Conseil constitutionnel de verser une somme importante, qui pouvait s’analyser en une peine. 

On peut considérer que la Cour de Strasbourg a manqué singulièrement d’audace dans cette affaire d’autant que le Conseil constitutionnel avait admis en quelque sorte qu’il n’avait pas respecté les exigences de l’article 6 de la Convention en matière d’équité de la procédure. En effet, le Conseil a modifié son règlement le 28 juin 1995 de façon à permettre aux requérants et aux parlementaires dont l’élection est en cause de demander à être entendus[21]. Ainsi, la Cour n’aurait pas pris un grand risque politique en condamnant une procédure qui n’est désormais plus en vigueur, comme elle le fait souvent. 

Le gouvernement français et le Conseil constitutionnel pouvaient s’estimer à l’abri de nouveaux recours pour longtemps. Toutefois, deux ans plus tard, la Cour de Strasbourg, bien qu’elle ait pris quelques précautions, n’a pas hésité à s’aventurer dans le domaine beaucoup plus délicat des attributions du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité.

 

 

B. – La Cour de Strasbourg contrôle le Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité des lois

 

La Cour européenne des droits de l’Homme a eu l’occasion de contrôler les juridictions constitutionnelles[22]. Mais en général il s’agit de juridictions qui peuvent être saisies par les individus, comme en Allemagne, en Espagne, en Andorre ou en République tchèque. Or le Conseil constitutionnel français, jusqu’à présent, ne peut être saisi par de simples individus, mais seulement par le président de la République, le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, et depuis 1974 par 60 députés ou 60 sénateurs. On pourrait donc estimer qu’il était difficile à la Cour européenne d’exercer un contrôle sur la manière dont le Conseil constitutionnel vérifie la conformité d’une loi à la Constitution. Et pourtant la Cour a démontré le contraire dans l’affaire Zielinski et Pradal[23]. Cette affaire complexe, concernant le régime de la sécurité sociale en Alsace-Lorraine, soulevait surtout le problème des lois de validations rétroactives, fréquentes en France, et qui comportent une intervention du législateur dans les affaires pendantes devant la justice. La Cour de Strasbourg a condamné ce procédé alors même que le Conseil constitutionnel n’avait relevé aucune incompatibilité avec la Constitution et qu’il se refuse toujours à exercer un contrôle de conventionnalité depuis la fameuse décision de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse. La Cour a donc censuré, bien que de façon indirecte, la décision du Conseil constitutionnel. 

La Cour n’a pas suivi l’argumentation du gouvernement français qui faisait valoir, un peu comme Robert Badinter, que le Conseil constitutionnel tenait compte de l’évolution de la jurisprudence européenne et qu’il posait des conditions très strictes au recours à des lois de validation rétroactives, même s’il se refusait à apprécier la conformité d’une loi à la Convention européenne des droits de l’Homme. La position de la Cour est très ferme sur ce point : « la décision du Conseil constitutionnel ne suffit pas à établir la conformité de l’article 85 de la loi du 18 janvier 1994 avec les dispositions de la Convention (§ 59 de l’arrêt). 

Il résulte donc clairement de l’arrêt Zielinski et Pradal que le Conseil constitutionnel français ne constitue pas une exception parmi les juridictions constitutionnelles européennes et qu’il est soumis au contrôle de la Cour de Strasbourg dans son activité de juge de la constitutionnalité des lois, bien qu’il ne puisse pas être saisi par un simple citoyen[24].

On peut s’interroger à cet égard sur l’incidence de la récente réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur les rapports entre le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’Homme.

 

 

III. – L’avenir des relations entre le Conseil constitutionnel et la Cour de Strasbourg : l’incidence de la réforme du 23 juillet 2008

 

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 est la vingt-quatrième révision de la Constitution de 1958[25]. Issue des travaux de la Commission Balladur, elle comporte quelques dispositions relatives au Conseil constitutionnel et elle prévoit un nouveau mode de saisine en instituant une procédure de question préjudicielle. L’article 29 de cette loi insère un article 61-1 ainsi rédigé : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». L’alinéa deux précise : « Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article ». 

Ce texte est mal rédigé. En effet, le dernier membre de phrase du premier alinéa est incorrect grammaticalement, ce qui rend son sens incompréhensible. Ainsi le pronom relatif « qui » se rapporte au « Conseil d’Etat » ou à la « Cour de cassation », alors que l’intention des auteurs du texte est d’imposer au Conseil constitutionnel l’obligation de se prononcer « dans un délai déterminé ». Il semble que la loi organique édictera un double délai, qui pourrait être de trois mois pour le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, puis pour le Conseil constitutionnel lui-même[26]

L’article 29 de la loi du 23 juillet 2008 modifie l’article 62 de la Constitution dont un nouvel alinéa 2 prévoit qu’ « une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause »[27]

Enfin, l’article 46 de la loi du 23 juillet 2008 indique que certains articles, dont l’article 61-1 de la Constitution, « dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application »[28]. C’est dire que tant que la loi organique prévue à l’article 29 alinéa 2 n’est pas intervenue la réforme du mode de saisine du Conseil constitutionnel et la saisine par voie de question préjudicielle restent virtuelles et… en pointillé[29] ! 

Cette réforme est l’aboutissement d’un débat engagé depuis longtemps dans la doctrine entre ceux qui prônent l’instauration d’un recours direct des citoyens devant le Conseil constitutionnel, comme cela existe dans de nombreux pays européens[30] et ceux qui s’y opposent catégoriquement et n’acceptent, à condition qu’elle soit strictement encadrée, qu’une procédure de question préjudicielle, donnant au citoyen un accès limité et indirect à la juridiction constitutionnelle[31]. C’est finalement cette seconde thèse qui a triomphé dans la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, mais le débat risque de resurgir lors de l’élaboration de la loi organique entre ceux pour qui le recours préjudiciel est un pis-aller, acceptable uniquement à défaut de saisine directe, et ceux pour qui ce recours préjudiciel constitue le maximum acceptable, qui devrait être aussi exceptionnel que possible et permettre ainsi de limiter le nombre d’affaires soumises au Conseil constitutionnel et éviter qu’il ne soit submergé de recours. 

Il nous semble, malheureusement, que les partisans de la thèse restrictive peuvent trouver de nombreux arguments en leur faveur dans le texte de l’article 61-1. 

En effet, la question préjudicielle est par définition soulevée « à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction », mais son objet est limité ici au cas où « une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Certes il s’agit là d’un domaine extrêmement important pour les citoyens, mais qui ne couvre pas tout le champ d’application du contentieux constitutionnel, notamment ce qui concerne les rapports entre les pouvoirs publics, bien que ceux-ci puissent avoir une incidence sur les libertés publiques et les droits individuels. Cela ne couvre pas non plus le contentieux des élections confié au Conseil constitutionnel, sauf si les droits et liberté garantis par la Constitution sont en cause. Outre ces restrictions ratione materiæ, on peut se demander si la formule de l’article 61-1 n’a pas été choisie à dessein pour exclure les droits protégés par la Convention européenne des droits de l’Homme. Or si les droits garantis par la Constitution sont parfois plus étendus que ceux de la Convention, l’inverse est également vrai. La solution pourrait être d’intégrer la Convention dans la Constitution. Jean-Paul Costa, actuel président de la Cour de Strasbourg et lui-même issu du Conseil d’Etat, estime qu’une telle intégration est facile du point de vue technique, mais il semble douter de son utilité pratique et de son opportunité[32]

D’autres questions se posent. Par qui la procédure de la question préjudicielle peut-elle être enclenchée ? Le texte de l’article 61-1 précise qu’ « il est soutenu » qu’une loi est inconstitutionnelle. Cela vise vraisemblablement les parties à l’instance en cours, mais le problème peut-il être soulevé d’office par le juge ? et par quel juge ? L’article 61-1 indique que le Conseil « peut être saisi » sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation. La question doit-elle avoir été évoquée en première instance, puis en appel, avant d’être discutée devant la juridiction suprême ? En tout cas, contrairement au système de la question préjudicielle devant la Cour de Justice des Communautés européennes, devenue Cour de Justice de l’Union européenne, le juge de première instance ou le juge d’appel ne peuvent pas saisir le Conseil constitutionnel, et le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation n’ont pas l’obligation de le saisir. On est donc dans une logique très différente et le nombre des questions préjudicielles devrait être très réduit, dans la mesure où le rôle de filtre a été confié aux deux juridictions suprêmes, Cour de cassation et Conseil d’Etat.

Pour mesurer l’ampleur potentielle de la réforme réalisée en juillet 2008, il est intéressant de comparer celle-ci à l’expérience italienne, puisque le mécanisme de la question préjudicielle existe dans ce pays. Pour Gustavo Zagrebelsky, ancien président de la Cour constitutionnelle italienne : « Avec la saisine par voie incidente, le contrôle de constitutionnalité de la loi est, en quelque sorte, hybridé par la garantie des situations subjectives constitutionnelles »[33]. Pour le magistrat italien, il s’agit d’un « renversement de perspective : ce qui, à l’origine, était une conception objective et abstraite du contrôle de constitutionnalité est devenu une conception subjective et concrète. A l’origine on disait : nous nous débarrassons de la loi contraire à la Constitution et, par voie de conséquence, nous protégeons les droits constitutionnels qu’elle a violés ; aujourd’hui, on devrait dire : nous protégeons les droits constitutionnels et, par conséquent, nous éliminons la loi qui les méconnaît ». Ce changement de perspective n’est pas « seulement … une invocation formelle. C’est la substance même qui change ». 

On pourrait donc considérer qu’il s’agit en France d’une petite révolution, comparable à celle qui avait découlé de la réforme de 1974, et peut-être plus importante encore[34]

Il convient de noter à cet égard que la Cour européenne des droits de l’Homme ne limite pas son contrôle en fonction du mode de saisine de la juridiction constitutionnelle. Celui-ci s’exerce aussi bien quand la juridiction constitutionnelle est saisie directement que de manière indirecte, par la voie préjudicielle[35]. Le Conseil constitutionnel français ne devrait donc pas, là aussi, échapper au contrôle de la Cour de Strasbourg, d’autant plus que la juridiction européenne est très vigilante en ce qui concerne le respect des exigences de l’article 6 de la Convention par les cours constitutionnelles et vérifie notamment que le droit d’accès à celles-ci est bien respecté[36], mais également l’impartialité des juges constitutionnels[37]

En définitive, seule la pratique permettra de dire si la réforme de 2008 est susceptible de modifier profondément la position du Conseil constitutionnel[38]. Est-ce qu’elle transformera les données du problème des relations entre le Conseil constitutionnel et la Cour européenne ? Rien n’est moins sûr. Le Conseil constitutionnel se résoudra-t-il à intégrer la Convention européenne des droits de l’Homme dans le bloc de constitutionnalité ? Est-ce que, de son côté, la Cour de Strasbourg se montrera plus audacieuse et osera-t-elle affronter directement – et non pas seulement indirectement comme elle l’a fait jusqu’à présent – le Conseil constitutionnel français ? Cela n’est pas absolument certain. C’est dire que l’avenir des relations entre les deux hautes juridictions est entre leurs mains et dépendra de leurs propres évolutions…

 

 

Addendum : De la question préjudicielle à la question prioritaire de constitutionnalité (entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle de juillet 2008)

 

La réforme constitutionnelle de juillet 2008 instaurant un mécanisme de question préjudicielle est entrée en vigueur le 1er mars 2010 en même temps que la loi organique du 10 décembre 2009[39]. Cette loi est complétée par deux décrets du 16 février 2010 qui en précisent les modalités d’application sur le plan procédural[40]. Le Règlement intérieur du Conseil Constitutionnel a été également modifié le 4 février 2010 pour tenir compte de la nouvelle procédure. On peut aussi mentionner une circulaire de la Chancellerie (Ministère de la Justice) du 24 février 2010. Cet ensemble de textes répond à certaines questions que soulevait la révision constitutionnelle de 2008, mais il ne satisfait pas à toutes les interrogations et il suscite déjà la critique de la part de certains auteurs. Le point essentiel qu’il convient de souligner réside dans le fait qu’on parle désormais de « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) et non plus de « question préjudicielle ». Il ne s’agit pas d’un simple changement terminologique, mais d’une volonté d’affirmer la priorité de l’examen de constitutionnalité par rapport à l’examen de la « conventionnalité », c’est-à-dire de la compatibilité avec les conventions internationales et les engagements internationaux. Cela vise notamment le droit communautaire et le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme, mais aussi éventuellement d’autres conventions comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou les conventions adoptées dans le cadre de l’O.I.T. D’ores et déjà certains juristes ont soulevé le problème de la compatibilité des textes français avec les exigences du droit communautaire, notamment en matière de questions préjudicielles[41].  

Parmi les précisions essentielles qui ont été apportées, on peut mentionner que la question prioritaire de constitutionnalité doit être soulevée, par écrit, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation. Cela englobe de nombreuses juridictions, notamment les juridictions financières (Cour des Comptes, Cour de discipline budgétaire, etc.), mais pas toutes, en particulier le Tribunal des Conflits[42]. La question prioritaire ne peut pas être soulevée d’office[43]. Par ailleurs, la loi organique prévoit que trois conditions doivent être remplies pour que la question prioritaire soit transmise au Conseil constitutionnel : la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites ; elle ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, « sauf changement des circonstances » et la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux. Ces conditions sont assez strictes et permettront sans doute un filtrage efficace des questions posées par les plaideurs, afin de limiter un afflux de demandes qui est prévisible. La Cour de cassation et le Conseil d’Etat disposent d’un délai de trois mois pour transmettre la demande de question prioritaire et le Conseil constitutionnel devra statuer aussi dans un délai de trois mois par une décision motivée. Les textes organisent le caractère contradictoire de la procédure devant le Conseil constitutionnel, afin de respecter les exigences de la Convention européenne, telle qu’elle est interprétée par la Cour de Strasbourg.  

Quelles seront les conséquences de l’application de la réforme, notamment pour les relations entre le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’Homme. Certains soulignent les aspects positifs des mécanismes institués. Selon Didier Le Prado, président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, « la France a désormais rejoint les nombreuses démocraties européennes, au sein desquelles l’organe de contrôle de la constitutionnalité des lois peut être saisi à l’initiative de tout citoyen à l’occasion d’un litige »[44]. Certes la réforme peut se justifier aussi au nom de la subsidiarité, principe qui domine le système de la Convention européenne[45]. Mais la subsidiarité aurait été encore davantage respectée et son application aurait été plus large si le mécanisme de la question « préjudicielle » avait été étendu aux problèmes de conventionnalité, alors que la question « prioritaire » de constitutionnalité, telle qu’elle résulte des textes actuels, marque nettement la volonté de placer la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes, ignorant pourtant l’article 55 de la Constitution qui consacre la primauté des conventions internationales. Il sera intéressant de connaître la position de la Cour de Strasbourg sur ce point.

 

 


[1] Paul Tavernier  est professeur émérite à l’Université Paris-Sud (Paris XI) et directeur du CREDHO (Centre d’Etudes et de Recherches sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire)

[2] Cet article est issu d’une contribution présentée lors du colloque franco-hongrois qui s’est tenu à Budapest le 14 novembre 2008 dans les locaux de la Cour constitutionnelle hongroise sur le thème « Droits de l’Homme, droit international et droit européen dans la pratique constitutionnelle : approches franco-hongroises ». Il a fait l’objet d’une première publication dans la revue électronique Droits fondamentaux, mars 2009 (www.droits-fondamentaux.org) avec l’autorisation du Professeur et Juge Peter Kovacs, organisateur du colloque, que nous remercions tout particulièrement. La présente version a été mise à jour pour tenir compte de l’entrée en vigueur, le 1er mars 2010, de la réforme constitutionnelle de juillet 2008.

[3] CEDH, Grande chambre, arrêt du 19 septembre 2008, Korbely c. Hongrie.

[4] Opinion dissidente commune aux juges Lorenzen, Tulkens, Zagrebelsky, Fura-Sandström et Popovic.

[5] Michel Fromont, « La justice constitutionnelle en France ou l’exception française », pp. 167-183, in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Paris : Economica, 2001, XXIII-458 p.

[6] Le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Il modifie le Traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne. On parle désormais de Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La perspective « constitutionnaliste » est abandonnée en principe, mais la place et la valeur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est confirmée. Elle est intégrée dans le droit primaire et le nouvel article 6 prévoit expressément qu’elle « a la même valeur juridique que les traités ».

[7] Robert Badinter, « La Convention européenne des droits de l’Homme et le Conseil constitutionnel », pp. 79-85, in Paul MAHONEY et al. (eds), Protection des droits de l’Homme : la perspective européenne/Protecting Human Rights : the european perspective, Mélanges à la mémoire de/Studies in memory of Rolv Ryssdal, Cologne : Carl Heymanns Verlag KG, 2000, XXI-1587 p.

[8] Voir par exemple Bruno GENEVOIS, « Le Conseil constitutionnel et le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme », pp. 251-268, in Hubert THIERRY et Emmanuel DECAUX (sous la direction de), Droit international et droits de l’Homme. La pratique juridique française dans le domaine de la protection internationale des droits de l’Homme, Cahiers du CEDIN n° 5, Paris : Montchrestien, 1990, 296 p. Sur l’évolution de la position de Bruno Genevois, voir infra, note 23. Voir aussi François LUCHAIRE, « Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’Homme », Gazette du Palais, 10-12 juin 2007, n°161-163, pp. 11-12 (Actes du colloque organisé par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme et l’Institut des droits de l’Homme du Barreau de Paris sur « La Convention européenne des droits de l’Homme et la justice française »). Tout récemment, le 13 février 2009, c’est également une vision optimiste qui a été présentée par Olivier Dutheillet de Lamothe, membre du Conseil constitutionnel, lors de la visite effectuée par la Cour de Strasbourg au Conseil constitutionnel. Son discours, prononcé à cette occasion, est disponible sur le site Internet de la Cour (www.echr.coe.int) et sur le site du Conseil (www.conseil-constitutionnel.fr). Voir aussi Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, « Conseil constitutionel et Cour européenne des droits de l’Homme : un dialogue sans paroles », pp. 403 et s., in Le dialogue des juges. Mélanges en l’honneur du président Bruno Genevois, Paris : Dalloz, 2009, 1166 p.

[9] Robert Badinter, « La Convention européenne des droits de l’Homme et le Conseil constitutionnel », pp. 79-85, et notamment p. 79, in Paul MAHONEY et al. (eds), Protection des droits de l’Homme : la perspective européenne/Protecting Human Rights : the european perspective, Mélanges à la mémoire de/Studies in memory of Rolv Ryssdal, op. cit.

[10] Décision du 15 janvier 1979 relative à la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dite loi Veil.

[11] Robert Badinter, « La Convention européenne des droits de l’Homme et le Conseil constitutionnel », pp. 79-85, et notamment p. 80, in Paul MAHONEY et al. (eds), Protection des droits de l’Homme : la perspective européenne/Protecting Human Rights : the european perspective, Mélanges à la mémoire de/Studies in memory of Rolv Ryssdal, op. cit.

[12] Cons. constit., 21 octobre 1988, Election des députés de la 5e circonscription du Val d’Oise, Rec. p. 183.

[13] Robert Badinter, « La Convention européenne des droits de l’Homme et le Conseil constitutionnel », pp. 79-85, et notamment p. 80, in Paul MAHONEY et al. (eds), Protection des droits de l’Homme : la perspective européenne/Protecting Human Rights : the european perspective, Mélanges à la mémoire de/Studies in memory of Rolv Ryssdal, op. cit.

[14] Olivier Dutheillet de Lamothe, pour sa part, va plus loin et admet qu’il y a une influence : voir Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, « L’influence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le Conseil constitutionnel » (discours mentionné supra, note 6). Pour l’auteur, cette influence est même importante. La Convention européenne des droits de l’Homme a contribué à l’émergence de droits nouveaux. La jurisprudence de Strasbourg a sensiblement enrichi la conception française de certains droits. Elle a eu un impact majeur sur les procédures judiciaires et notamment sur la procédure pénale. En définitive, « la Convention européenne des droits de l’Homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg constituent aujourd’hui le principal élément fédérateur des différentes formes de protection des droits et des libertés qui s’exercent en France ».

[15] Cf. CEDH, arrêts du 24 avril 1990, Kruslin et Huvig c. France : cette affaire concerne la loi, telle qu’interprétée par la jurisprudence.

[16] Les éléments constitutifs de l’infraction doivent être définis en termes clairs et précis : décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985, Rec. p. 32 et n° 93-322 DC du 28 juillet 1993, Rec. p. 204.

[17] Robert Badinter, « La Convention européenne des droits de l’Homme et le Conseil constitutionnel », pp. 79-85, notamment p. 84, in Paul MAHONEY et al. (eds), Protection des droits de l’Homme : la perspective européenne/Protecting Human Rights : the european perspective, Mélanges à la mémoire de/Studies in memory of Rolv Ryssdal, op. cit.

[18] Paul Tavernier, « Le Conseil constitutionnel français peut-il échapper au contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme ? », pp. 255-273, in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Paris : Economica, 2001 ; XXIII-458 p.

[19] CEDH, arrêt du 21 octobre 1997, Jean-Pierre Pierre-Bloch c. France. Voir Paul Tavernier, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (année 1997) », Journal du droit international (Clunet), 1998, pp. 221-223. Deux autres requêtes semblables avaient été déposées à Strasbourg : celle de Christian Estrosi (n° 24359/94) a été déclarée irrecevable par la Commission le 30 juin 1995 et celle de Jack Lang (n° 23943/94) a donné lieu à désistement le 29 juin 1995.

[20] La Commission, dans son rapport du 1er juillet 1996, était du même avis, par 9 voix contre 8.

[21] Cette modification du règlement avait permis à Jack Lang de se désister d’une requête semblable à celle de Jean-Pierre Pierre-Bloch.

[22] Voir notre article précité dans les Mélanges Conac, notamment pp. 258 et s. Voir aussi Françoise TULKENS, « Convention européenne des droits de l’Homme et Cours suprêmes », discours prononcé le 13 février 2009 lors de la visite de la Cour de Strasbourg au Conseil Constitutionnel.

[23] CEDH, Grande chambre, arrêt du 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France. Voir Paul Tavernier, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (année 1999) », Journal du droit international (Clunet), 2000, pp. 129-131.

[24] Sur les conséquences tirées de la jurisprudence Zielinski et Pradal par le Conseil constitutionnel lui-même, ainsi que par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, voir le commentaire de Joël Andriantsimbazovina dans Frédéric Sudre, Jean-Pierre Marguénaud et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, Paris : PUF, 4ème éd., 2003, pp. 287-298 et 5ème éd., 2009, pp. 301-313. Sur la question des lois de validation rétroactives au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme, Bruno Genevois, qui fut Secrétaire général du Conseil constitutionnel, a exprimé une certaine préoccupation à propos de l’arrêt de la Cour de Strasbourg du 14 février 2006, Lecarpentier c. France, intervenu dans l’affaire des « tableaux d’amortissement » « au terme de près de dix années d’application » de la loi. Quel est « l’effet concret d’un arrêt de condamnation du fait d’une loi de validation inconventionnelle, lorsque cette loi a en pratique épuisé ses effets » ? Il est vrai que la loi du 12 avril 1996 avait été jugée conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1996 (n° 96-375 DC), confirmée par la Cour de cassation (Cass.Civ. 1ère ch., 20 juin 2000, Epoux Lecarpentier). Voir Bruno GENEVOIS, « Quelques remarques à propos de l’exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg et du rôle du jurisconsulte et la portée concrète de la jurisprudence de la Cour pour un juge interne », pp. 61-72 (notamment p. 71), in Paul TAVERNIER (sous la direction de), La France et la Cour européenne des droits de l’Homme. La jurisprudence en 2006, Bruxelles : Bruylant, 2007, VIII-235 p. Quant à Olivier Dutheillet de Lamothe, dans son discours au Conseil constitutionnel, déjà cité, il présente les choses de manière plus optimiste. Pour lui, la jurisprudence relative aux validations rétroactives est un domaine où l’influence de la Cour s’est exercée sur le Conseil, puisque celui-ci a été amené à modifier sa propre jurisprudence.

[25] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, JORF, 24 juillet 2008.

[26] Un éminent membre du Conseil d’Etat que nous avons interrogé sur ce point, concède que le texte constitutionnel est défectueux dans sa rédaction, mais soutient que cela ne porte pas à conséquence et qu’il s’agit simplement de placer une virgule au bon endroit. Nous ne pouvons souscrire à une telle analyse.

[27] Ces dispositions confient au Conseil constitutionnel le soin de préciser la portée temporelle de la décision d’inconstitutionnalité. Cela était nécessaire puisque le contrôle de constitutionnalité ne s’exerce pas a priori, mais a posteriori. La décision du Conseil constitutionnel a en principe un effet immédiat à compter de la date de la publication, mais peut avoir un effet différé. Quant à la deuxième phrase, dont la rédaction est susceptible de prêter à discussion, elle prévoit que la décision peut aussi avoir un effet rétroactif. Le nouveau texte confie donc des pouvoirs importants au Conseil constitutionnel en matière de détermination des effets dans le temps de sa propre décision.

[28] L’article 46 aurait dû se référer aussi à l’article 62 de la Constitution qui ne pourra prendre plein effet que si l’article 61-1 est entré en vigueur.

[29] Le Conseil d’Etat a confirmé qu’il ne peut pas examiner un moyen tiré de la non-conformité d’une disposition législative à la Constitution aussi longtemps que la loi organique n’a pas été adoptée : CE, sect., 31 décembre 2008, Association de défense des droits des militaires. Voir Sophie-Justine LIEBER et Damien BOTTEGHI, « Chronique générale de jurisprudence administrative française », Actualité juridique. Droit administratif, n° 3/2009, pp. 148-152, notamment p.149. La décision du 31 décembre 2008 confirme une solution esquissée dans une décision non publiée (CE, 24 septembre 2008).

[30] Voir Dominique Rousseau et Eric Spitz, « Le crépuscule du Conseil constitutionnel », Le Monde du 7 décembre 2001. Ces deux auteurs soulignent que « la France est le seul pays d’Europe, aujourd’hui, à ne pas permettre à ses ressortissants de saisir, directement ou indirectement, le juge constitutionnel pour faire respecter ses droits fondamentaux ».

[31] Voir Louis Favoreu, « Sur l’introduction hypothétique du recours individuel direct devant le Conseil constitutionnel », Cahiers du Conseil constitutionnel n°10. L’auteur estime que l’introduction du recours direct individuel en France se heurte à des objections de principe et d’ordre technique.

[32] Jean-Paul Costa, « La Convention européenne des droits de l’Homme et la Constitution de la France », pp. 241-253, in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Paris : Economica, 2001 ; XXIII-458 p. L’auteur propose même un texte amendé de l’alinéa premier du préambule de la Constitution pour intégrer formellement la Convention européenne des droits de l’Homme dans la Constitution de 1958.

 

[33] Gustavo Zagrebelsky, « Les caractères réaliste et concret du contrôle de constitutionnalité des lois en Italie », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 22, 2007, pp. 226-235, notamment p. 228.

[34] Voir à ce sujet l’étude approfondie de Michel VERPEAUX, «  Question préjudicielle et renouveau constitutionnel », Actualité juridique. Droit administratif, n°34/2008, pp. 1879-1886.

[35] C’est ce qui ressort des arrêts Pammel et Probstmeier du 1er juillet 1997. Voir Paul Tavernier, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (année 1997) », Journal du droit international (Clunet), 1998, pp. 198-200. Contrairement à l’affaire Süssman (arrêt du 16 septembre 1996), la Cour constitutionnelle allemande n’avait pas été saisie sur la base d’un recours individuel (Verfassungsbeschwerde), mais d’une question préjudicielle. Le gouvernement allemand avait attiré l’attention de la Cour sur ce point, mais celle-ci ne l’a pas suivi.

[36] On peut citer un arrêt récent : CEDH, arrêt du 26 juin 2008, Rechtová c. République tchèque. En l’espèce, il s’agissait du délai de saisine de la Cour constitutionnelle. Cet arrêt est classé par la Cour en troisième catégorie dans l’échelle d’importance et parmi les affaires répétitives.

[37] Voir CEDH, 15 juillet 2005, Meznaric c. Croatie : Paul Tavernier, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », Journal du droit international (Clunet), 2006, pp. 1097-1098. Rappelons que la Cour de Strasbourg, dans l’arrêt Ruiz-Mateos c. Espagne du 23 juin 1993 (voir Paul Tavernier, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (année 1993) », Journal du droit international (Clunet), 1994, pp. 799-804) avait tranché non seulement la question de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention aux juridictions constitutionnelles, mais aussi celle de l’égalité des armes. En revanche, l’argument de la partialité du Tribunal constitutionnel avait été considéré comme manifestement mal fondé par la Commission.

[38] Françoise Tulkens, dans son discours cité supra, note 21, semble relativement optimiste. Elle se demande si le nouveau mécanisme de l’exception préjudicielle d’inconstitutionnalité peut avoir une fonction de filtrage s’agissant des requêtes contre la France devant la Cour européenne des droits de l’Homme et sa réponse est positive.

[39] Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution (publiée au Journal officiel de la République française, 11 décembre 2009, p. 21379, texte n° 1.

[40] Décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique et décret n° 2010-149 du 16 février 2010 relatif à la continuité de l’aide juridictionnelle en cas d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel

[41] En ce sens Paul CASSIA, « Question sur le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité », Actualité Juridique. Droit administratif, 30 novembre 2009, p. 2193. Pour une étude plus large et plus approfondie des rapports entre le nouveau contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité, voir Laurence BURGORGUE-LARSEN, « Question préjudicielle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité. Etat des lieux de leurs liaisons (éventuellement dangereuses) dans le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61 § 1 de la Constitution », Revue française de droit administratif, juillet-août 2009, pp. 787-799.

[42] Voir Michel VERPEAUX, « La question préjudicielle de constitutionnalité et le projet de loi organique », Actualité Juridique. Droit administratif, 3 août 2009, pp. 1474-1480.

[43]  En ce sens, Agnès ROBLOT-TROIZIER, « La question prioritaire de constitutionnalité devant les juridictions ordinaires : entre méfiance et prudence », Actualité Juridique. Droit administratif, 25 janvier 2010, pp. 80-87.

[44] Didier LE PRADO, « La question prioritaire de constitutionnalité vue par un avocat », Actualité Juridique. Droit administratif, 25 janvier 2010, pp. 94-96

[45] Paul TAVERNIER, « De la subsidiarité et de quelques notions voisines. Pérégrinations entre le droit international et le droit européen », pp. 219-231, in Mélanges en l’honneur de Jean Charpentier. La France, l’Europe et le Monde, Paris : Editions A. Pedone, 2008, XIV-561 p.

 

 


   

 

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