Journal of the International Law Department of the University of Miskolc


Miskolc Journal of International Law

Miskolci Nemzetközi Jogi Közlemények

 

Vol. 5. (2008) No. 1. pp. 1-9.

 

Péter Kovács[1]:

 

A propos de la légitimité des relations directes entre l'Etat-parent et la minorité voisine[2]

 

 

Cette question inquiète et fascinne depuis longtemps les gouvernements, les minorités - et les chercheurs proches des premiers ou le cas échéant des dernières. On pourrait certes donner un aperçu historique qui sur la base des expériences du tournant du XIX-XXe siècle ou bien d'entre deux guerres pourrait fournir nombreux exemples à argumenter en faveur de l'effet destabilisateur de ces relations à la sécurité et à l'ordre de l'Etat multinational. De l'autre côté, on pourrait fournir quasi juste autant d'exemples pour appuyer la position que le rôle de l'Etat voisin se réalise souvent dans un concours volontaire, objectivement allégeant le fardeau économique de la garantie de l'égalité des chances des minorités avec les membres de la majorité. Les références à une prétendue troisième colonne viennent du souvenir des relations entre le IIIe Reich nazi et le mouvement du Volksbund, tandis que le renvoi au caractère légitime des relations entre l'Etat-parent et la (les) minorité(s) voisine(s) dit que la coopération internationale des régimes de l'Etat de droit fournit de tels coordonnées qui excluent les abus avec cette coopération.

 

C'était la Commission de Venise (la Commission européenne par le droit pour la démocratie) qui s'est trouvée récemment dans une situation où son expertise  a été sollicitée de la part des Etats et du Conseil de l'Europe pour contribuer à la solution d'une tension émergée suite à l'adoption d'une loi spécifique en Hongrie en 2001.

 

Cette loi[3] a eu comme vocation la règlementation de l'octroi de certaines préférences en faveur des minorités hungarophones vivant dans les pays limitrophes. Ces préférences de vocation essentiellement culturelle mais ayant un certain contenu financier ou économique aussi, étaient applicables en Hongrie comme des réductions des titres d'entrée aux musées et aux autres établissements similaires, mais aussi bien certaines facilités d'accès au marché de travail. La majeure partie des préférences a été applicable sur le territoire de la Hongrie, sauf le cas d'une aide spécifique de scolarisation des enfants dans les établissements hungarophones des pays voisins. L'éligibilité à ces préférences a été liée à la possession d'une carte d'identité magyar (qu’on utilise ici dans le sens du hungarophone), délivré par l'Etat hongrois sur demande des individus ayant l'identité hongroise, sur proposition des organes de la minorité hongroise attestant cette affiliation. Les ayant droits des possesseurs de cette carte ont eu le droit (sur demande) à une carte de famille garantissant le bénéfice d'une grande partie des préférences.

 

L'adoption de cette loi a été précédée par des législations similaires dans plusieurs pays de l'Europe[4] (en particulier en Grèce, Slovaquie, Slovénie, Croatie, Roumanie, Russie, Bulgarie). etc. Malgré cela, la Roumanie et la Slovaquie protestaient énérgiquement contre cette loi, en la considérant de type extraterritoriale et discriminatoire. La Roumanie a demandé officiellement la Commission de Venise de se prononcer sur l' „euroconformité” de cette loi.

 

Il est utile de rappeler que la Commission de Venise a été établie comme organe auxiliaire du Conseil de l'Europe. Composé de juristes en général constitutionnalistes (souvent même des juges constitutionnels), la Commission de Venise a fait beaucoup pour la transition démocratique des pays de l'Est: elle a été souvent sollicitée pour donner un avis consultatifs sur les projets constitutionnels des pays en transition, mais plusieurs projets législatifs (en général ayant une vocation de droit de l'homme ou de protection des minorités) ont été préexaminés par la Commission de Venise. Elle a donc une expérience et une autorité considérable sur ces domaines, par contre elle n'a pas de compétence de règlement de conflit interétatique: elle n'a jamais dû se prononcer ni statutairement, ni par des saisines ad hoc, sur des différends bilatéraux concrets. Puisque la proposition roumaine a demandé "d'examiner la compatibilité de la loi hongroise (...) avec les normes européennes et les normes et principes du droit international public contemporain"[5], elle disposait pratiquement de nature de requête n'ayant pas cependant la volonté concordante de l'autre pays. La Hongrie aurait pu donc carrément refuser de consentir et obliger donc la Commission de Venise à déclarer l'absence de sa compétence.

 

Après des analyses et des évaluations de conséquences, la Hongrie a pris une position différente: elle a également sollicité la Commission de Venise à rendre un avis par "une étude comparative des tendances récentes des législations européennes concernant le traitement préférentiel des personnes appartenant à des minorités nationales vivant hors du pays dont elles ont la citoyenneté".[6]

 

Le mandat que le Comité des Ministres a donné finalement à la Commission de Venise était très proche de la contre-proposition hongroise, en la réduisant cependant au droit positif stricto sensu: "entreprendre une étude sur le traitement préférentiel par un Etat de ses minorités à l'étranger, en se fondant sur la législation et la pratique dans certains pays membres du Conseil de l'Europe. L'objectif de cette étude [est] de voir si les traitements préférentiels étaient compatibles avec les normes du Conseil de l'Europe et les principes du droit international".[7]

 

La Commission de Venise a donc fait une étude comparative même si la procédure montrait de fortes ressemblances avec la procédure devant les instances judiciaires et en particulier la Cour internationale de justice: il y a eu une phase écrite (mémoire, contre-mémoire, réplique et duplique, complété par un questionnaire détaillé préparé par la Commission de Venise) et une phase orale avec l'audition des représentants de gouvernements. Somme toute, la Commission de Venise a adopté un document qui s'intitule à juste titre "Rapport sur le traitement préférentiel des minorités nationales par leur Etat-parent"[8].

 

La Commission n'a tranché donc du point de vue juridique aucun différend, par contre incontestablement elle a formulé des remarques que tous les Etats du Conseil de l'Europe doivent étudier minutieusement pour voir si leurs législations sont compatibles avec ces conditions.

 

Le rapport contient donc des formules assez abstraites bien récapitulées dans les conclusions finales:

„- Un Etat peut promulguer des lois concernant des citoyens étrangers, dans la mesure où elles n'ont d'effet qu'à l'intérieur de ses frontières.

- Lorsque ces lois concernent spécifiquement des citoyens étrangers à l'étranger dans des domaines qui ne sont pas couverts par des traités ou une coutume internationale permettant à l'Etat-parent de supposer le consentement des Etats de résidence concernés, ce consentement doit être demandé avant l'application de toute mesure.

- Aucune fonction quasi-officielle ne peut être assignée à une association non-gouvernementale déclarée dans un autre Etat. Toute forme de certificat sur place doit être obtenu auprès des autorités consulaires, dans la limite de leurs attributions communément acceptées. Les lois ou réglementations doivent de préférence énumérer les critères exacts qui définissent une personne concernée par leur application. En l'absence de tout document officiel, les associations peuvent fournir des informations concernant ces critères.

- Les mesures unilatérales relatives au traitement préférentiel des minorités ne doivent pas concerner des domaines manifestement couverts par des traités bilatéraux, sans le consentement formel ou implicite mais non ambigu de l'Etat de résidence. En cas de différend concernant l'application ou l'interprétation de traités bilatéraux, toutes les procédures existantes pour le règlement doivent être utilisées de bonne foi, et les mesures unilatérales ne peuvent être adoptées par l'Etat-parent que si ces procédures se sont avérées inefficaces.

- Un document administratif délivré par l'Etat-parent ne peut certifier que le droit pour son titulaire de bénéficier des avantages offerts par les lois et réglementations applicables.

- Un traitement préférentiel peut être accordé à des personnes appartenant à des minorités nationales dans les domaines de l'éducation et de la culture dans la mesure où il poursuit un but légitime et est proportionné.

- Le traitement préférentiel ne peut pas être accordé dans les autres domaines, sauf dans des cas exceptionnels et s'il contribue à un but légitime et est proportionné."[9]

 

Dans la partie informative du rapport (quasi les motifs dans la langue des arrêts) on trouve beaucoup de constats profonds qui méritent une attention particulière. Comme p. ex. en ce qui concerne l’éducation et la culture „dans ces domaines, s’il existe une coutume internationale, le consentement de l’Etat de résidence peut être présumé et les Etats-parents peuvent prendre des mesures législatives ou administratives de manière unilatérale. En outre quand un Etat-parent prend des mesures sur le traitement préférentiel de ses minorités dans un Etat particulier, ce dernier peut supposer le consentement du premier pour des mesures similaires concernant ses citoyens.”[10]

 

L’Assemblée parlementaire a aussi voté une résolution sur le sujet. Celle-ci souligne que „l’Assemblée parlementaire, en principe, accueille favorablement l’aide apportée par les Etats-parents à leurs minorités vivant dans d’autres Etats pour qu’elles préservent leur identité culturelle, linguistique et ethnique. L’Assemblée souhaite toutefois souligner que les Etats-parent doivent veiller à ce que tant la forme que le contenu de l’aide apportée soient aussi acceptés par les Etats auxquels les minorités appartiennent. (….) L’Assemblée estime que la responsabilité de la protection des minorités incombe principalement aux Etats de résidence. Elle précise que les cadres multilatéral et bilatéral existant en matière de protection des minorités, y compris les normes européennes, doivent être considérés comme une priorité. Les Etats-parents peuvent aussi jouer un rôle reconnu et important dans la protection et la préservation de leurs minorités, en veillant à entretenir de véritables liens linguistiques et culturels. L’émergence de formes nouvelles et originales de protection des minorités, notamment par leur Etat-parent, est une tendance positive dans la mesure où elle peut contribuer à la réalisation de cet objectif dans le cadre de la coopération internationale.”[11]

 

Suite aux suggestions des instances internationales y compris le Haut Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales[12],  un accord a été signé entre les gouvernements hongrois et roumain, sur certaines questions relatives aux modalités de la mise en oeuvre des dispositions de la loi sur le territoire roumain.[13] Cet accord a été remplacé récemment par un autre[14] qui tenait compte des changements intervenus entretemps dans le texte de la loi. Un accord similaire a été signé avec la Slovaquie.[15]

 

En ce qui concerne ces accords bilatéraux, il est à noter qu’ils ont diminué l’importance juridique des cartes d'identité magyar. Tandis que selon le concept original, la possession de cette carte aurait dû habiliter son titulaire à une aide à la scolarisation virée directement à la famille concernée, désormais cette aide arrive canalisée dans des fondations liées aux établissements scolaires des minorités hongroises établies selon la loi des pays. C’est ainsi qu’en Roumanie, la „Fondation École”[16]  et en Slovaquie, la „Fondation Péter Pázmány”[17] ont été constituées respectivement afin de distribuer les aides venant de la Hongrie. L’accord roumano-hongrois y ajoute que les cartes d'identité magyar délivrées aux citoyens de Roumanie ne peuvent être utilisées que sur le territoire de la République de Hongrie.[18] L’accord roumano-hongrois et slovaquo-hongrois stipulent dans des termes assez similaires que l’éligibilité aux aides de ce genre est fondée sur le fait que l’individu donné fait des études en hongrois ou bien dans le domaine de la culture hongroise.[19] (Des dispositions similaires concernent les citoyens hongrois, faisant des études en slovaque ou en roumain, mais sur le sol de la Hongrie actuelle.)

 

Gain de cause apparent donc pour ceux qui avaient peur de „l’ethnicisation” de ces liens transfrontaliers car l’éligibilité est juridiquement indépendant de l’origine ethnique (ou plutôt linguistique) de la personne concernée. Personne ne sera cependant surpris quand on précise tout de suite qu’en fait, 99,9 % de ceux qui font des études en langue roumaine en Hongrie, ou bien en langue hongroise en Slovaquie et en Roumanie, appartiennent bien entendu justement aux minorités linguistiques respectives de ces pays. La formulation juridique a été considérablement changée – tout en laissant la politique d’assistance culturelle transfrontalière se développer.

 

Tout ce débat houleux a incité l’Assemblée parlementaire à entamer la réflexion sur le concept de la nation. Elle a chargé le sénateur György Frunda de préparer un rapport détaillé sur le sujet pour arriver le cas échéant à un projet de recommendation. Travail fait, l’Assemblée parlementaire a approuvé le rapport[20] et elle a adopté la recommandation 1735(2006) sur le concept de la nation.

 

Cette recommandation affirme que „le terme «nation» est profondément ancré dans la culture des peuples, leur histoire, et il intègre les éléments fondamentaux de leur identité. Il est, en outre, étroitement lié aux idéologies politiques qui en ont fait usage et en ont perverti le sens originel. De surcroît, au regard de la diversité des langues en usage en Europe, un concept comme celui de «nation» se trouve être proprement intraduisible dans beaucoup de pays où il n’y trouve au mieux qu’une traduction approximative dans la langue nationale. Inversement, les mots utilisés dans la langue nationale ne trouvent pas d’avantage de traduction adéquate en anglais ou en français, les deux langues officielles du Conseil de l’Europe.”[21]

 

Après avoir récapitulé les différences entre les perceptions les plus répandues de la nation, donc le concept français (c’est à dire la nation civique) et le concept d’origine allemande (à savoir la communauté ethnoculturelle souvent transfrontalière), l’Assemblée parlementaire a mis au point que „la tendance générale est que l’État-nation évolue, selon le cas, d’un État purement ethnique ou ethnocentrique vers un État civique, ou bien d’un État purement civique vers un État multiculturel dans lequel des droits particuliers sont reconnus non seulement aux personnes physiques mais aussi aux communauté culturelles ou nationales.”[22]

 

Les députés de l’hémicycle de Strasbourg ont souligné que „l’Assemblée considère qu’il est nécessaire de renforcer la reconnaissance des liens de chaque citoyen européen avec son identité, sa culture, ses traditions et son histoire, pour permettre à tout individu de se définir en tant que membre d’une «nation» culturelle, indépendamment du pays dont il est citoyen ou de la nation civique à laquelle il appartient en tant que citoyen, et, plus précisément, de répondre aux aspirations croissantes des minorités qui ont un fort sentiment d’appartenance à une certaine nation culturelle. Elle estime qu’il est important, autant dans une perspective politique que juridique, d’encourager une approche plus tolérante de la question des relations entre l’État et les minorités nationales, qui conduise à l’acceptation de bonne foi du droit de chaque individu d’appartenir à la nation à laquelle il a le sentiment d’appartenir, soit du point de vue de la citoyenneté, soit du point de vue de la langue, de la culture et des traditions.”

 

En vertu des principes[23] les plus importants de la résolution 1335(2003), présenté supra, l’Assemblée parlementaire a recommendé au Comité des Ministres, „d’inviter les États membres à mettre leur Constitution en conformité avec les normes européennes démocratiques actuelles qui appellent tous les États à intégrer l’ensemble de leurs citoyens, indépendamment de leur origine ethnoculturelle, dans une entité civique et multiculturelle, et à cesser de se définir et de s’organiser en tant qu’États exclusivement ethniques ou civiques; d’élaborer des lignes directrices relatives aux modalités du développement des relations entre un État et les minorités résidant dans un autre État – en général voisin – en ayant à l’esprit les critères dégagés par la Commision de Venise dans son rapport de 2001, en se basant sur l’analyse des législations existantes qui y est faite et en se conformant aux résolutions et recommandations pertinentes de l’Assemblée.”[24]

 

A part les principes de base et les modalités de l’assistance culturelle et financière que les États-parents sont désireux d’attribuer aux minorités linguistiques parlant leur langues et appartenant à leur culture, la question la plus délicate est si un État-parent est en droit de leur fournir une certaine assistance de type politique ou juridique.

 

Les arguments souvent évoqués contre une telle prétention sont de nature historique et juridique. En ce qui concerne l’histoire, c’est bien sûr la politique expansionniste hitlérienne qui est mentionnée la plus souvent quand les organisations locales du Volksbund ont été téléguidées de la capitale du IIIe Reich ce à quoi on a déjà fait allusion dans l’introduction du présent article. D’une manière curieuse (mais compréhensible), on évoque beaucoup plus rarement la politique du „panslavisme” du tournant du XIX-XXe siècles. Même si ces leçons sont certainement à retenir, aujourd’hui il serait exagéré de les implanter et de les cultiver dans des circonstances radicalement différentes. Car en Europe dont les États partagent désormais les mêmes valeurs de l’État de droit et sont ou bien membres de plein droit ou bien partenaires de la même organisation militaire (l’OTAN) et de la même intégration économique et juridique (l’Union européenne) et appartiennent à la même organisation politique (à savoir le Conseil de l’Europe), personne ne peut penser sincèrement dans les termes d’une menace militaire et d’une déstabilisation ressemblant à celles que l’Europe a connu aux années précédant le déclenchement de la 2e guerre mondiale.

 

Les arguments juridiques développés à l’encontre de l’admissibilité d’un tel rôle méritent cependant l’attention. Ils sont établis sur le socle du principe de la souveraineté, manifesté inter alia dans les deux aspects de la souveraineté territoriale: la totalité et l’exclusivité.[25] Ce principe doit être lu cependant conjointement avec un autre, non-moins célèbre dictum jurisprudentiel à savoir l’affaire Wimbledon où la CPJI a confirmé le principe des limites librement contractées de la souveraineté.[26] (L’évolution postérieur du droit international y a ajouté aussi les limites dérivant des normes jus cogens / erga omnes.)

 

Dans ce contexte, il serait totalement erronné de s’interroger sur la règle précise du droit international (tout en l’entendant comme droit international général pourque l’impasse théorique soit garantie d’avance!) qui aurait attribué une telle compétence à ’État-parent. Car bien entendu, une telle règle juridique universelle n’existe pas.

 

En revanche, il faudrait plutôt essayer de voir si un État donné a déjà accepté que d’autres États aient un mot à dire sur l’évolution des choses chez lui. Force est de constater que les différentes conventions internationales relatives aux droits de l’homme contiennent souvent des mécanismes de contrôle qui sont basés sur l’intervention d’autres États ou bien qui sont compatibles avec celle-ci. La possibilité des recours interétatiques peut être accepté optionnellement[27] ou bien obligatoirement[28]. D’autre part, là où les mécanismes de contrôle sont placés en la main d’organes intergouvernementaux, comme le Comité des Ministres dans le cas de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et de la Convention-cadre pour la protection des minorités, les représentants des États – et on souligne: de chaque État! – sont en droit d’exprimer leurs vues, leurs concernes, le cas échéant leur satisfaction. Sans que quelconque rôle privilégié soit attribué à l’État-parent, il est certainement légitime qu’il profite de ces possibilités.

 

Dans  le cas d’un traité bilatéral en vigueur  et ayant la vocation à contribuer à l’amélioration de la situation des minorités, il est important d’examiner si celui-ci ne reconnaît pas un rôle plus concret aux États partenaires.

 

En dépit des formulations différentes et d’une précision plus ou moins grande, les traités bilatéraux contractés en Europe centrale et orientale (et en particulier par la Hongrie et ses voisins)[29] confèrent souvent le contrôle de l’exécution des engagements à des comités mixtes. Ces comités mixtes bilatéraux sont de nature intergouvernementale. On ne peut pas dire cependant que ce sont uniquement les représentants des différents gouvernements qui prennent place à la table: des sièges doivent souvent être garantis aux représentants des minorités dans chaque délégation nationale. Ceci mérite d’autant plus notre attention que normalement, les intérêts des gouvernements et ceux des minorités ne coincident pas. Cependant, la présence des minorités ne change pas la règle selon laquelle la prise de décision dans les comités nécessite la concordance de vues des deux gouvernements. La présence des minorités est essentiellement informative et elle contribue à une meilleure perception des problèmes concrets sans altérer le caractère intergouvernemental.

 

Puisque ces comités mixtes assurent essentiellement un échange d’informations et disposent d’un pouvoir de recommandation envers leurs gouvernements, on peut considérer cette institution comme le moyen du règlement diplomatique des conflits éventuels. Ils peuvent surtout exercer une influence positive dans le cas où l’implémentation des politiques gouvernementales se heurtent à la lenteur traditionnelle de la bureaucratie ou à un problème local et quand la solution nécessite un impetus politique, le cas échéant international. Par contre, ces instances ne peuvent pas résoudre les problèmes qui apparaissent au niveau des gouvernements: elles peuvent seulement clarifier les positions respectives.

 

Ceci veut dire qu’en réalité on peut retrouver la reconnaissance d’un certain droit de regard dans le droit international aussi bien général qu’européen ou bien bilatéral. S’il y a donc un tel engagement incombant à l’État abritant des minorités ethniques, nationales ou linguistiques, cet État n’a aucun argument juridique pour critiquer les autres États-parties de la convention donnée quand ils font valoir les compétences conventionnelles manifestant le droit de regard, tant que leur intervention reste dans les cadres définis dans les traités concrets. L’acceptation d’une telle intervention tant qu’elle reste dans les cadres prédéfinis vient du principe pacta sunt servanda. Ceci n’exclue pas cependant – et on en trouve beaucoup d’exemples – que la courtoisie, la solidarité politique, l’usage – ou l’opportunisme – ne provoquent l’émergence de telles règles qui déconseillent ou qui réduisent l’exercice effectif de ces compétences[30].

 

Bref, même si, in abstracto, on ne peut certainement pas parler de l’existence d’un rôle juridique spécifique dont l’État-parent dispose comme si ce droit était un droit subjectif, assez souvent, on peut trouver in concreto des règles précises qui garantissent à l’État-parent (ou bien ès qualité d’un des pays contractants ou bien en tant que partenaire priviligié et dûment habilité à cette fin par un traité bilatéral) qu’il exprime son opinion sur les questions tombant sous le champ d’application de l’instrument international donné. Il va de soi que ces engagements sont faits sur la base de la réciprocité. Le droit de regard existent donc dans le droit international dans une forme dispersée et ses modalités sont à préciser selon les traités donnés.

 

 

 

 

 

 


 

[1] Péter Kovács est juge à la Cour Constitutionnelle de la République de Hongrie et professeur de droit international à l’Université de Miskolc et à l’Université Catholique Péter Pázmány. (Les considérations ci-dessous sont développées ès qualité universitaire et bien entendu n’engage en rien la Cour Constitutionnelle.)

[2] La première partie de cet article a été publiée dans l’ouvrage suivant:

Péter Kovács: La protection internationale des minorités nationales aux alentours du millénaire, Pédone 2005 Paris (Cours et travaux (N°5) de l’Université Panthéon-Assas, Institut des Hautes Études Internationales de Paris) aux pages p. 87-91. La présente contribution tient compte des évolutions juridiques qui ont eu lieu après la clotûre de novembre 2003 du manuscrit de l’ouvrage précité.

[3] Loi LXII(2001) relative aux Hongrois vivant dans les pays voisins, adoptée le  19 juin 2001

[4] Autriche : Loi sur l’égalité entre les Tyroliens du Sud et les Autrichiens dans certains domaines administratifs, du 25 janvier 1979; Slovaquie : Texte n°70 sur les slovaques expatriés et la modification de certaines lois, du 14 février 1997 ; Roumanie: Loi sur la promotion des relations avec les communautés roumaines qui vivent à l’extérieur du pays, du 15 juillet 1998; Russie : Loi fédérale sur la politique étatique de la Fédération de Russie par rapport aux compatriotes à l’étranger, mars 1999 ; Bulgarie : Loi concernant les Bulgares vivant à l’extérieur de la Bulgarie, du 11 avril 2000 ; Italie : Loi sur les mesures en faveur de la minorité italienne en Slovénie et en Croatie, du 21 mars 2001, n°73 (prolongeant la validité de l’Article 14 §2 des Dispositions pour le développement d’activités économiques et de coopération internationale dans les régions Friuli-Venezia Giulia, Belluno et les environs, du 9 janvier 1991, n°19) ; Hongrie :  Loi relative aux Hongrois vivant dans les pays voisins, du 19 juin 2001; Slovénie : Résolution du Parlement slovène sur le statut et la situation des minorités slovènes vivant dans les pays voisins et les devoirs de l’Etat slovène et d’autres organismes dans ce domaine, 27 juin 1996 ; Grèce : Décision ministérielle commune n°4000/3/10/e des Ministres de l’Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères, du Travail et de l’Ordre public des 15-29 avril 1998 sur les conditions, la durée et la procédure d’octroi de la carte d’identité spéciale aux ressortissants albanais d’origine grecque ;

[5] cf. le texte dans la partie introductive du rapport de la Commission de Venise"Rapport sur le traitement préférentiel des minorités nationales par leur Etat-parent" CDL-INF (2001)19 p.1

[6] ibid

[7] ibid

[8] Le titre en anglais est plus proche de certaines notions couramment utilisées dans la littérature anglo-américaine des recherches interethniques: Preferential Treatment of National Minorities by their Kin-State

[9] E. Conclusions p.17

[10] D. Avis de la Commission sur la compatibilité des législations nationales portant sur la protection des minorités avec les normes européennes et les normes et principes du droit international,  § (a), p.13

[11] Résolution 1335(2003): Traitement préférentiel des minorités nationales par l’Etat-parent: le cas de la loi hongroise concernant les Hongrois vivant dans les pays voisins («Magyars») du 19 juin 2001; §§ 1 et 2

En ce qui concerne la loi d’espèce, l’Assemblée parlementaire a partagé les constats de la Commission de Venise, elle a souligné l’importance des modifications législatives intervenues entretemps ainsi que la nécessité des arrangements bilatéraux.

[12] Souveraineté, responsabilité et minorités nationales: déclaration du Haut Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales, du 26 octobre 2001: „La protection des droits des minorités est une des obligations des Etats où elles résident. L’histoire a démontré que quand les Etats prennent des mesures unilatérales, fondées sur les origines nationales, pour protéger les minorités nationales vivant en dehors de leur juridiction, il peut en résulter des tensions et des frictions et parfois mêmes des conflits violents. C’est pourquoi je suis appelé à porter une attention particulière aux situations dans lesquelles des démarches similaires sont envisagées, sans l’assentiment de l’Etat de résidence. (…) S’il est vrai qu’un Etat dont la population appartient majoritairement à une ethnie peut s’intéresser aux personnes du même peuple installées à l1étranger, cela ne lui confère ni implique en aucune manière un droit, en droit international, d’exercer sa juridiction sur ces personnes. Cela n’empêche toutefois pas un Etat d’accorder certaines préférences dans le cadre de son domaine de compétences, sur une base non discriminatoire. Cela n’empêche pas non plus les personnes appartenant à une minorité nationale de maintenir sans entraves des contacts transfrontaliers avec les citoyens des autres Etats dont ils partagent les origines ethniques ou nationales.”

[13] Accord roumano-hongrois du 22 décembre 2001.

[14] Accord roumano-hongrois du 23 septembre 2003.

[15] Accord slovaquo-hongrois du 12 décembre 2003

[16] Selon la version anglaise de l’article 6 de l’accord roumano-hongrois de 2003, „The Parties convened that the „School Foundation”, in conformity with the Romanian legislation, distributes, by contest, on the basis of projects, educational benefits, for educational institutions or for individuals for the purpose of scholarship, on a non-discriminatory basis.”

[17] Selon l’article 5 de l’accord slovaquo-hongrois de 2004, „en ce qui concerne les citoyens de la République Slovaque, la tâche du transfert de l’aide définie aux aliénas [précédents] appartient à la Fondation Péter Pázmány qui l’effectuera, conformément au système juridique citoyens de la République Slovaque.” (traduction non-officielle)

[18] Selon l’article 7 de l’accord roumano-hongrois de 2003: „The Hungarian certificates for Romanian citizens shall be used only on the territory of the Republic of Hungary.”

[19] cf. les articles 4-5 de l’accord roumano-hongrois de 2003 ainsi que l’article 3 de l’accord slovaquo-hongrois de 2004.

[20] Le concept de «nation». Doc. 10762, 13 décembre 2005,

[21] cf. § 4 de la recommandation 1735(2006)

[22] cf. § 7 de la recommandation 1735(2006)

[23] „S’il est légitime que les États-parents jouent un rôle important dans le respect des droits des minorités nationales en ce qu’ils se préoccupent du sort de leurs conationaux résidant dans d’autres pays, ce soutien doit absolument respecter la législation des États où les minorités concernées vivent et tout acte normatif doit être préalablement négocié avec les gouvernements de ces États. Les mêmes droits et obligations devraient être reconnus à, ou observés par, tous les États qui entendent adopter des mesures unilatérales concernant la protection de l’identité des minorités culturelles et nationales vivant dans différents États et composées des citoyens de ces derniers.”

§ 13 de la recommandation 1735(2006)

[24] cf. les §§ 16.4-16.5 de la recommandation 1735(2006)

[25] La souveraineté dans les relations entre Etats signifie l'indépendance. L'indépendance relativement à une partie du globe est le droit d'y exercer, à l'exclusion de tout autre Etat, les fonctions étatiques.”

CPA: affaire de l’Ile de Palmas, sentence arbitrale du 4 avril 1928, R.S.A. vol. II, p. 281

[26] „La Cour se refuse à voir dans la conclusion d’un traité quelconque, par lequel un État s’engage à faire ou à ne pas faire quelque chose, un abandon de sa souveraineté. Sans doute, toute convention engendrant une obligation de ce genre apporte une restriction à l’exercice des droits souverains de l’État, en ce sens qu’elle imprime à cet exercice une direction déterminée. Mais la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l’État.”

CPJI: affaire du vapeur Wimbledon, arrêt du 17 août 1923, série A n° 1, p. 25

[27] cf. Protocole additionnel du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme, dans sa version 1950-1998

[28] cf. la CEDH après l’entrée en vigueur du protocol additionnel n°11.

[29] p. ex. Traité de bon voisinage et de coopération amicale entre l’Allemagne et la Pologne (1991) ; Traité de relations amicales et de partenariat en Europe entre l’Allemagne et la Bulgarie (1991) ; Traité de coopération amicale et de partenariat en Europe entre l’Allemagne et la Hongrie (1992) ; Traité de coopération amicale et de partenariat en Europe entre l’Allemagne et la Roumanie (1992) ; Traité sur les fondements de relations de bon voisinage et de coopération entre la Hongrie et l’Ukraine (1991) et Déclaration sur les principes de la coopération en matière de la protection des minorités (1991); Traité de relations amicales et de coopération entre la Hongrie et la Slovénie (1992) et Convention sur l’assurance des droits spéciaux à la minorité nationale slovène vivant en Hongrie et à la communauté nationale hongroise vivant en Slovénie (1992) ; Traité de relations amicales et de coopération entre la Hongrie et la Croatie (1992) et Convention sur la protection des droits de la minorité croate vivant en Hongrie et de la minorité hongroise vivante en Croatie (1995) ; Traité de bon voisinage et de coopération amicale entre la Hongrie et la Slovaquie (1995) ; Traité de compréhension, de coopération et de bon voisinage entre la Hongrie et la Roumanie (1996) ; Traité de coopération et d’amitié entre la Slovaquie et la Roumanie (1995); Traité de l’entente, du bon voisinage et de la coopération entre l’Ukraine et la Roumanie (1997); Convention sur la protection de la minorité serbe vivante en Hongrie et de la minorité hongroise vivante en Serbie-Montenegro (2003);

[30] C’est ainsi que malgré la possibilité conventionnelle, le dépôt des recours interétatiques à la Cour européenne des droits de l’homme est rarissime.


   

 

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